Monet, Le pont japonais sur le bassin aux nymphéas à Giverny (1899)
Elle avait oublié ses gants. Elle avait froid aux mains alors elle les recroquevilla dans les manches de son manteau. Elle marchait, seule, tout en sentant le soleil encore hivernal, lumineux mais un peu faible, lui caresser le dos.
Outre quelques promeneurs, les rues étaient désertes. Désertes de mouvements, désertes de bruit, désertes de vie. Les maisons, aussi, pour beaucoup, semblaient hiberner, n'offrant que des volets clos. Le village dormait, depuis plusieurs années maintenant. Il n'y avait que l'été où c'était un peu différent, avec ceux qui venaient en vacances et les touristes de passage.
Elle qui revenait régulièrement, elle avait vu, au fil des mois et des années, certains commerces disparaître et des habitations se vider. Ne restaient que des murs, comme inébranlables, quoiqu'ils laissaient pour certains apparaître quelques lézardes. Les gens partis, eux seuls renfermaient l'histoire, désormais impénétrable...
Pourtant, l'âme du village émanait encore de ces ruelles singulières. Pour elle, le lieu gardait son charme, un autre charme sans doute, plus tranquille. Elle aimait profondément l'atmosphère qui régnait dans ces rues, peut-être même plus maintenant qu'elles étaient si calmes... Elle s'y sentait apaisée, bien qu'elle se remémorait avec une pointe de nostalgie les heureux jours - qui lui paraissaient ceux d'une autre vie - où, enfant, elle avait arpenté ces allées à pied ou en vélo...
Elle avait, sans s'en rendre compte, repris plus ou moins le parcours habituel des promenades familiales, comme cherchant à suivre des traces estompées depuis bien longtemps. Elle s'entêtait, sûrement, à vouloir faire revivre le passé, et elle le savait... cela faisait peut-être plus de mal qu'autre chose.
Elle s'était éloignée du centre, longeant les champs qui bordaient la commune, puis avait rejoint "la passerelle", ce pont qu'elle connaissait pour l'avoir traversé des dizaines de fois, en contre-bas du village. Elle s'était arrêtée là un temps. A chaque saison, le paysage était différent et à chaque passage, elle notait un nouveau détail : elle comprenait soudain combien ce peintre avait pu s'y sentir inspiré. Elle observait... Ce jour là, malgré le froid, la nature semblait empreinte d'une certaine douceur. La rivière était plus haute que d'ordinaire et coulait plus vite aussi. Quant aux arbres du rivage, dévêtus, ils laissaient apercevoir d'un côté, la plaine encore humide de la neige du matin; de l'autre, les maisons siégeant à des hauteurs différentes. Elle aimait ce point de vue, presque en contre-plongée, et appréciait aussi l'endroit parce que, par un beau mystère, le soleil y donnait toujours, illuminant la nature été comme hiver, venant se refléter dans l'eau, cette eau claire qui coulait vers elle ne savait où...